« REVOIR ENCORE DELVAUX » - MUSÉE D’IXELLES »
Paul Delvaux, Les Courtisanes, 1944, Coll. privée en dépôt au Musée d'Ixelles
©Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo Vincent Everarts
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Promenez votre regard sur 90
œuvres – parfois inédites - réunies pour l’occasion au Musée d’Ixelles –
dernier weekend
En 2010, dans une salle annexe du
Musée d’Ixelles, une petite exposition consacrée au processus créatif chez l’artiste
belge Paul Delvaux « Paul Delvaux, aux sources de l’œuvre » avait mis
l’accent sur les multiples influences qui ont nourri le peintre. Aquarelles et
dessins préparatoires s’y succédaient et démontraient, si besoin en était, la
finesse et le soin que l’artiste déployait dans ses études préparatoires avant
d’en arriver à l’œuvre finale.
Cette exposition-ci « Delvaux dévoilé » et son catalogue
éponyme se proposent d’en aborder l’œuvre à travers le prisme des univers
caractéristiques de son expression artistique ; subtil mélange de
féminité, d’imaginaire onirique, de rêves et voyages imaginaires, de
recueillement et de solitude. Partout Delvaux a signé son travail d’une
empreinte poétique.
Une exclusivité quand même.
Pour la première fois, « l’incendie » est présenté dans son intégralité. Exécutée en 1935, cette toile fut à l’origine scindée en deux par le peintre et se trouve à présent réunifiée grâce à la générosité d’un donateur. D’un côté, une femme habillée immobile, vue de dos, contemple, le regard anonyme, un temple mystérieux en proie aux flammes. De l’autre, une femme nue se tient debout, indifférente au drame qui est en train de se jouer. Les deux panneaux se questionnent et se répondent dans un face à face du plus pur style de représentation surréaliste, une édification de l’étrangeté et de l’énigme. Intérieur bordel et extérieur temple de la pulsion, deux acceptions de la femme se dévisagent, celle d’un 19ème siècle austère, codifié et celle de la femme antique sublimée dans sa liberté.
Paul Delvaux, L'Incendie, 1935, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo J Geleyns - Ro Scan
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La collection de Nicole & Pierre Ghêne.
A la fin de ses études, en 1962, Pierre Ghêne commence à s’intéresser au
travail de Delvaux. Au commencement, il y a cette exposition à Ostende et le
parfum de scandale autour d’un des tableaux de l’artiste, « La
visite ». Sur la toile ; une dame nue faisant offrande de ses seins à
un jeune garçon impubère dans l’embrasure de la porte. Le tableau choque, la presse en fait ses
titres, le curateur menace de clôturer l’exposition si ce tableau venait à être
mis de côté. Pierre Ghêne en a suivi tous les développements. De là naquit un
intérêt presqu’obsessionnel pour l’œuvre du peintre, et c’est dès le début des
années 70 qu’il commença sa collection.
Au départ : des croquis, des dessins, des aquarelles,… et un
intérêt plus particulier pour ses œuvres entre 1934 et 1944. Tout ce qui
compose le style Delvalien était déjà en place dès le début, avant qu’il
ne commence à peindre : lien privilégié à l’enfance, la femme, la mère, les
amies ou amantes, un univers strictement féminin qui n’interagit pas avec le genre
masculin, son goût pour les écrits de Jules Vernes, les squelettes, son attrait
pour l’architecture, les perspectives et pour l’Antiquité classique. Et
toujours chez lui, une croyance en un monde idéal, un ailleurs imaginaire entre
enfance et temps qui continue sa marche vers une inexorable fin.
Paul Delvaux, La Femme au miroir, 1948, Coll. privée en dépôt au Musée d'Ixelles
© Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo Vincent Everarts
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Une recherche stylistique.
Ce qui frappe lorsqu’on parcourt cette exposition, c’est à quel point
Delvaux a longuement erré avant d’imposer son style propre. On retrouve au
détour de ses années de recherches, l’inspiration de Constant Permeke, peintre
qu’il admire.
Après 4 années dans cette voie, il délaisse ses influences expressionnistes que l’on retrouve par exemple dans l’évocation d’une promenade au Rouge Cloître.
En 1930, c’est la rencontre avec James Ensor et la visite du Musée
Spitzner ; l’insolite, les dimensions du burlesque, du grotesque et de
l’angoisse font leur entrée dans sa peinture qui se libère peu à peu du réel.
Après 4 années dans cette voie, il délaisse ses influences expressionnistes que l’on retrouve par exemple dans l’évocation d’une promenade au Rouge Cloître.
Bien que se défendant d’être influencé par le symbolisme, certaines de
ses vestales ne sont pas sans évoquer Jean Delville, un des maîtres du
symbolisme belge, maître dont il suit les cours à l’Académie des Beaux-Arts de
Bruxelles.
En 1934, sa visite de l’exposition Minotaure au Palais
des Beaux-Arts de Bruxelles le sensibilisera au mystère poétique. L’émotion devant
la peinture métaphysique de De Chirico et ses esplanades italiennes, ses mondes
immobiles écrasés de soleil et de silence aura sur lui une influence déterminante.
Pourtant à la différence de celui-ci, Delvaux choisit d’habiter ses étendues
élaborées, de les peupler de statues n’entretenant entre elles qu’une relation
spatiale.
Le motif du squelette, élément récurant de la peinture Delvalienne entre
1940 et 1944, n’est pas sans rappeler James Ensor ou « la belle
Rosine » d’Antoine Wiertz. C’est aussi un témoin de l’affinité du peintre
avec les mondes parallèles voire surnaturels. Tels les Argonautes d’un nouveau
mythe, ces squelettes aux comportements des vivants nous transportent du réel
vers la fiction.
Sa passion pour les écrits de Jules vernes est celui d’un retour vers
l’enfance. L’artiste transgresse les frontières du réel pour livrer un univers
atemporel qui tend vers l’éternel poétique. Car c’est bien la poésie, le
leitmotiv de la quasi-totalité de son parcours d’artiste.
Le tableau idéal
« Je voudrais peindre un tableau dans lequel je pourrais vivre » Paul Delvaux
A la quête de ce tableau idéal, de cette part de rêve, il entame une ardue, sensible et essentielle quête de soi : c’est ce qui transparait dans les œuvres d’apprentissage présentes dans l’exposition. Ainsi donc, dans un long et riche cheminement de plus de 15 années, Paul Delvaux a construit sa poétique métaphysique, celle qui lui donna gloire et cette reconnaissance qui aujourd’hui se perpétue.
En 1934, il a 36 ans met fin à sa période dite expressionniste et produira
jusque 1944 grand nombre de dessins et d’aquarelles. C’est le moment de sa
rencontre avec l’œuvre de Magritte et De Chirico au Palais des BA de Bruxelles.
C’est aussi la découverte du Musée Spitzner, étonnante baraque foraine et ses
attractions morbides.
Evocation également des boudoirs feutrés des maisons closes. Déclinées en autant de variantes - bordels gares, jardins, vastes esplanades, espace au confort capiteux - où des pensionnaires offrent leurs corps lascifs tout en solitude ou en étreintes féminines complices d’une esthétique sublimée. C’est l’univers des prostituées fantasmées, des icones impalpables et inaccessibles, celui des grandes figures somnambules des femmes au regard large et au corps diaphane.
Loin de ce monde, l’ homme demeure toujours tenu à l’écart, réduit au rôle d’observateur…deux univers qui jamais ne communiquent, renvoyés chacun à leur propre intimité.
Evocation également des boudoirs feutrés des maisons closes. Déclinées en autant de variantes - bordels gares, jardins, vastes esplanades, espace au confort capiteux - où des pensionnaires offrent leurs corps lascifs tout en solitude ou en étreintes féminines complices d’une esthétique sublimée. C’est l’univers des prostituées fantasmées, des icones impalpables et inaccessibles, celui des grandes figures somnambules des femmes au regard large et au corps diaphane.
Paul Delvaux, Le Rêve, 1944, Coll. privée en dépôt au Musée d'Ixelles
© Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo Vincent Everarts
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Loin de ce monde, l’ homme demeure toujours tenu à l’écart, réduit au rôle d’observateur…deux univers qui jamais ne communiquent, renvoyés chacun à leur propre intimité.
La thématique du train est déjà présente à ses débuts dans les années 20
avec notamment « Etude de gare » qu’il présentera en 1923 lors d’une
exposition collective de la jeune peinture et jeune sculpture. De multiple
croquis et quelques tableaux en attestent. Loin de toute évasion onirique, ces
lieux bruyants, enfumés, l’odeur de la graisse et des machines, les cieux gris
de suie sont l’évocation d’une peinture sociale à la Constantin Meunier. Delvaux délaisse cependant la figure du
mineur de Meunier pour se consacrer à celle du cheminot non sublimé par le
travail, dilué dans la vapeur des trains qui traversent la gare.
Paul Delvaux, La Gare, 1921-1922, Coll. privée en dépôt au Musée d'Ixelles
© Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo Vincent Everarts
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Il fera évoluer ce motif après la seconde Guerre Mondiale vers le champ
du surréalisme. Un train, un tram qui se déplace silencieusement sur les rails
de l’imaginaire. Un voyage vers un ailleurs, un parcours jalonné de temples et de palais. Peu à peu
ces trains et trams se feront de plus en plus immobiles. Ainsi figés dans un
réalisme magique où évasion du réel et évasion vers l’imaginaire ne formeront
plus qu’un, ils symboliseront dans les yeux de l’artiste cet effort désespéré à
s’extraire de l’ennui et de la tristesse qui guettent.
La gare y joue ici sa propre vie, c’est le départ, c’est l’arrivée. Les passagers ne vont nulle part et n’y sont pas nécessaires. L’hyperréalisme s’installe, profondeur de champ et avant plan partagent la même netteté telle. Cette vision paradoxale de ce que l’œil humain nous interdit de voir nous ouvre la voie vers une fabuleuse image de l’impossible.
La gare y joue ici sa propre vie, c’est le départ, c’est l’arrivée. Les passagers ne vont nulle part et n’y sont pas nécessaires. L’hyperréalisme s’installe, profondeur de champ et avant plan partagent la même netteté telle. Cette vision paradoxale de ce que l’œil humain nous interdit de voir nous ouvre la voie vers une fabuleuse image de l’impossible.
La cité théâtralisée
Une fois ses débuts expressionnistes délaissés, l’artiste retrouve calme et sérénité dans un certain classicisme. La luminescence des corps évoluant dans des nuits lunaires, moment présent qui se distancie du passé, le réel du vrai, l’abandon au désir de son refoulement ; chez Delvaux, l’espace s’offre en contemplation tel un endroit qui bannit tout mouvement.Chaque élément constitutif de l’œuvre y est ainsi « proprement » déposé, figé dans une existence intrinsèque propre et sourde.Des villes inertes, théâtres on se joue une « mythologie nouvelle », comme autant de références aux peintures de De Chirico.
Les souvenirs familiers refoulés d’un lointain passé reviennent questionner le moment présent. Ces cités antiques imaginaires aux perspectives héritées de la Renaissance, au mépris des frontières entre intérieur et extérieur, se jouent de l’espace et disposent des figures humaines indifférentes les unes aux autres et au monde qui les entourent de manière presque mathématique, tels les pions d’un même échiquier.
Paul Delvaux, La Table, 1946, Coll. privée en dépôt au Musée d'Ixelles
© Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo Vincent Everarts
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Paul Delvaux, La Terrasse, 1979, Coll. privée en dépôt au Musée d'Ixelles
© Paul Delvaux Foundation, SABAM Belgium 2014, photo Vincent Everarts
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Tout y respire ordre et rigueur, foisonnement de points de fuite, de plongées accélérées, synthèse stylistique architecturale. Ainsi dénudées de toute temporalité et de toute humanité, ces villes se sacralisent en autant de lieux de cultes où au corps féminin bourgeois répond une foule de sculptures inanimées.
Souvent représentés de profil, chacun de ces personnages n’existent que par le mystère qu’ils suscitent, tels des figurants aux visages inexpressifs dépourvus de toute vie intérieure.
Un champ scénique hors de la vie, hors du simple portrait, un espace
imaginaire hors du réel pour mieux évoquer le vrai, un intense puzzle
énigmatique et poétique. Une peinture théâtralisée, loin du réel et du symbole,
une « abstraction figurative » placée sous l’omniprésence de la femme
sculptée, architecturale aux gestes muets.
C’est alors que le titre de mon article me revient à l’esprit : « Revoir encore Delvaux ». Faut-il encore revoir Delvaux ? Encore une Xème expo Delvaux !!! Et pourquoi pas finalement. Voir « l’incendie » dont les deux pans d’un même tableau se retrouvent finalement ; c’est aussi se poser la question de l’après. N’est-il pas souhaitable que toutes ces collections publiques et privées se retrouvent dans un seul et même lieu ? Il y a bien un Musée Magritte. Delvaux, cette figure emblématique de l’art belge, reconnu internationalement, ne mérite-t-il pas qu’un espace muséal lui soit intégralement consacré ? Il est peut-être là finalement le besoin de revoir encore Delvaux de nos jours, celui d’une nécessaire et sublime récapitulation.
Infos :
Musée d'Ixelles / Bruxelles- Adresse : rue Jean Van Volsem 71 - 1050 Bruxelles
- Tél. +32 (0)2 515 64 21/22 E-mail : musee[at]ixelles.be
- Accessible du mardi au dimanche, de 9h30 à 17h00 ferme les lundis et jours fériers)
- Tarification accès : 8 € - 5 €: étudiants, seniors, groupes (10 personnes ou plus), Amis du Musée, Ixellois, détenteur d'un billet Thalys et d'un billet SNCB en cours de validation.Gratuit (sur présentation d'un justificatif) : allocataires sociaux, enfants et jeunes jusque 18 ans inclus, enseignants en Belgique, étudiants en art, guides culturels, journalistes, CréaPass, Brussels Card, membres Attractions & Tourisme, ICOM.
Catalogue :
Textes de Georges Banu, Olivier Cousinou, Michel Draguet, Danièle Gillemon, Denis Laoureux, Laura Neve, Baldine Saint Girons, Jacques Sojher
Éditions Snoeck
22 x 22 cm, 224 pages, 90 illustrations couleur, 29€
ISBN 978-94-6161-196-3
Disponible en FR et NL
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